A Murviel les Montpellier, un village encore un petit peu préservé de l’urbanisation galopante montpelliéraine, se trouve le domaine de La Marfée sur les terroirs de Saint-Georges d’Orques. Thierry Hasard, à la tête du domaine de la Marfée depuis 1997, nous a accueillis pour nous parler de ses vignes, de ses vins et de biodynamie.
Si vous vous posez des questions sur ce qu’est réellement la biodynamie, vous pouvez toujours suivre une petite séance de rattrapage en lisant un article précédent intitulé : La biodynamie c’est quoi ?
Thierry Hasard a repris les vignes d’un coopérateur qui partait à la retraite. Son domaine compte de nombreuses petites parcelles qu’il prend soin de vinifier séparément. Sa cave a récemment été construite dans ce sens. C’est en 2003, suite à un stage d’initiation animé par Pierre Masson qu’il tourne son domaine vers la biodynamie, le reste, c’est Thierry Hasard qui vous le raconte …
J’ai vinifié pendant 10 ans au château de Fourques, j’étais dans une ambiance complètement différente d’ici mais qui m’a permis de faire mes premières armes. J’étais un peu serré, à l’étroit, je n’étais pas chez moi. Il m’a donc fallu 10 ans pour m’installer, me sentir chez moi et construire ma cave.
Je ne suis pas originaire de la région, mais je vis à Montpellier depuis 40 ans. Je viens des Ardennes et le nom de la Marfée vient d’ailleurs de là-bas. En cherchant sur Internet vous trouverez le domaine, le bois de la Marfée ainsi qu’une bataille de La Marfée en 1641 entre les troupes du roi de France (Louis XIII) et les frondeurs protestants protégés par le prince de Sedan qui remettaient en cause le pouvoir du roi. L’origine de ce nom a donc un lien avec mes racines.
Comment êtes-vous arrivé à faire du vin ?
J’étais un passionné du vin, ma femme et moi passions énormément de temps à aller voir des vignerons, acheter des bouteilles, faire des dégustations, puis petit à petit l’idée est venue de passer de l’autre côté.
Vous avez eu un coup de cœur pour le Languedoc ?
C’est venu naturellement, j’étais installé dans la région depuis l’âge de 20 ans.
Comment on arrive-t-on à la biodynamie ?
Chacun sa voie, chacun son chemin. J’y suis arrivé par curiosité. Une chose est sure, j’ai toujours eu l’esprit bio, et j’entendais parler de biodynamie. Il y a une dizaine d’années de ça, on ne savait pas trop ce que c’était, on n’avait pas trop d’informations. J’ai cherché une formation et je suis tombé par hasard sur un stage organisé par des vignerons du Beaujolais à Villefranche-Sur Saône. Ces vignerons étaient sans doute comme moi, ils se demandaient ce qui se passait.
Durant ce stage, j’ai rencontré un formateur qui est connu comme un des papes de la biodynamie, c’est Pierre Masson. A la fin de la première journée j’étais très emballé, le discours me paraissait très logique, intelligent et enthousiasmant. Le soir même, je me suis dit que j’allais commander un dynamiseur, ce que j’ai fait.
J’ai préparé ma première bouse de cornes, il m’a semblé que les résultats étaient là, maintenant ça fait 8 ans.Aujourd’hui je suis certifié Biodyvin. C’est une association de vignerons, avec un cahier des charges. J’aime bien ce label car il n’est pas radical contrairement à d’autres qui sont extrêmement orientés « Steihner » (le fondateur de la biodynamie) Je ne suis pas un théoricien ni un intellectuel, seul le résultat m’intéresse. Biodyvin ne va pas nous tomber dessus parce que une année, on a mis des levures sélectionnées dans une cuve où la fermentation s’était arrêtée. Ils savent ce que c’est, on ne va pas « mettre à la poubelle » une cuve parce que la fermentation ne redémarre pas.
Comment fonctionne un dynamiseur ?
On y met plusieurs préparations, de la bouse de corne et de la silice de corne. On mélange le tout à l’eau et pendant une heure, les deux batteurs vont mélanger et créer un vortex, un tourbillon dans l’eau. A intervalles réguliers les batteurs s’arrêtent net et repartent dans l’autre sens, ils créent ce qu’on appelle un « chaos ».
La bouse de corne ressemble à une sorte d’humus parfait. C’est une matière noble, très malléable, qui retient 90% de son poids en eau et qui sent bon. C’est exactement ce que l’on veut dans les vignes : c’est à dire un humus parfait. On le dynamise pendant une heure avant d’aller le distribuer à la vigne. Cela fonctionne un peu comme de l’homéopathie, c’est une information donnée à la microbiologie des sols en leur indiquant la marche à suivre pour travailler. On encourage le développement microbien du sol, l’enracinement en profondeur.
Une fois la préparation terminée, on met le tout dans un pulvérisateur à dos puis on parcourt la totalité des parcelles en pulvérisant cette préparation.
La biodynamie ne s’arrête pas seulement à ces pulvérisations, il y a un calendrier à respecter ?
En effet, on les effectue à deux périodes de l’année : à l’automne après les vendanges lorsque les sols vont pouvoir se reposer après une année de sollicitations pour faire pousser la vigne puis au printemps pendant le débourrement.
Nous avons le souci permanent de travailler dans les bons rythmes et cela n’inclut pas uniquement la lune. Nous veillons à ne pas faire n’importe quoi entre le matin et le soir. Il y a des moments où il faut savoir faire un labour plutôt le soir que le matin. En été, labourer ses vignes en plein mois de juillet entre midi et deux serait une abérration : on envoie du sec en profondeur. C’est ça la biodynamie, c’est un souci des rythmes, on est dans une démarche qui se soucie des moments où la plante réagit .
Faire un labour le soir en période chaude, permet de capter l’humidité ambiante du soir et de la conserver en la remettant en profondeur, alors que le matin ce même labour va créer une évaporation et sécher les sols.
Au niveau du travail du vin, les soutirages, la mise en bouteille, il y a des phases à respecter ?
En ce qui me concerne, je fais les soutirages à n’importe quel moment parce que, il faut être honnête, si les jours préconisés par le calendrier de la biodynamie ne sont pas les bons et que le vin a besoin d’être soutiré, je ne vais pas attendre 3 jours de plus.
En revanche, pour la mise en bouteilles qui est la dernière étape et sans doute la plus importante, je choisis mon jour.
Côté vinification, expliquez-nous les différentes étapes mises en œuvre :
Les raisins rouges comme les raisins blancs sont ramassés manuellement en cagettes.
Lors de la construction de la cave, on a creusé dans le rocher pour l’adosser à la colline, puis, à l’aide d’une rampe d’accès sur le côté, on a pu mettre en place un système de gravité.
On rentre les cagettes par le haut de la cave, puis les raisins sont déversés directement dans les cuves.
Les raisins rouges sont éraflés puis je les foule moi-même dans la cuve, très légèrement. J’attends ensuite que les fermentations démarrent naturellement, c’est à dire environ 3 jours.
Les raisins blancs sont ramassés tôt le matin puis envoyés directement au pressoir. Par la suite on pratique l’opération du débourbage du moût qui est refroidi (14°C) pour favoriser la sédimentation des particules les plus grosses au fond de la cuve. Après la séparation du moût clair et des bourbes, le moût est envoyé en barrique où là également, les fermentations démarrent naturellement.
Le chardonnay que je récolte le plus tôt est le plus long à démarrer sa fermentation. Longtemps, je le reconnais, j’ai levuré ce cépage uniquement car je m’angoissais du temps de latence qu’il y avait entre le moment où l’on avait mis le moût en barrique et le moment où la fermentation démarrait. Cette année, j’ai tenu bon, je n’ai pas levuré, j’ai attendu une semaine avant de voir enfin les premières bulles s’échapper, synonyme de fermentation. Certains œnologues pourraient penser que c’est catastrophique, mais les premiers résultats m’ont donné raison.Après les fermentations, les vins rouges sont élevés 24 mois en barriques de plusieurs vins, j’ai très peu de bois neufs. Mes vins ne sont ni filtrés, ni collés.
Un autre article rendra compte de la dégustation des vins du domaine de la Marfée ainsi que deux vins du nouveau millésime dégustés sur barrique lors de notre passage au domaine.
Un moment d’échange et d’écoute, ces deux mots pourraient résumer notre visite et pourquoi pas la vôtre ? Thierry Hasard est passionnant, son message sur la biodynamie n’est pas extrémiste, il a répondu à nos questions avec attention et a pris le temps nécessaire pour une visite complète. Nous le remercions pour cette après-midi enrichissante que nous classons dans nos rencontres à faire et à refaire.