Midi-Vin a entendu parler d’un nouveau domaine sur la commune de Montpeyroux et de ses vins une fois puis deux fois. Toujours motivé par l’envie de découvrir, nous avons pris rendez-vous avec ce vigneron que nous avions jamais rencontré. Quelques emails plus tard, nous voilà devant une grande porte verte de garage, rue de la Meillade à Montpeyroux. Sommes-nous à la bonne adresse ?
Un papier accroché à la porte : « jeune vigneron cherche vignes en fermage » nous confirme qu’il y a sans doute une cave derrière la porte !
Ivo Ferreira ouvre la porte, il nous attendait, la visite peut commencer …
Comment êtes-vous arrivé dans ce milieu après avoir quitté le monde de la sommellerie ?
J’étais sommelier à Paris pendant 6 ans, et petit à petit la grande restauration m’a lassé alors j’ai commencé à travailler dans des caves et bars à vin. Dans ce milieu on se dirige très facilement vers des vins qui sortent des sentiers battus, « natures ». J’ai commencé par faire des vendanges chez un copain dans le Jura, puis j’ai fait toutes les vinifications. J’ai voulu y retourner l’hiver parce que l’ambiance des vendanges c’est toujours un peu festif mais finalement ce n’est pas l’ambiance de l’année entière chez un vigneron. Je voulais voir l’ambiance hivernale dans le Jura, travailler avec du givre, de la neige, il faut y aller !
Je suis reparti du Jura en 2005 et j’ai effectué une formation viticulture-œnologie à Sauternes à La Tour Blanche. Un stage était lié à cette formation ; je ne voulais pas aller dans les grands châteaux bordelais qui ne me conviennent pas. J’ai alors demandé au Château Le Puy d’effectuer mon stage chez eux et très vite ça a marché ; ils m’ont proposé du travail à temps plein au bout de 3 mois. Je me suis occupé pendant 3 ans de la production avec le fils du propriétaire : vinifications, traitements etc…
Votre arrivée à Montpeyroux, c’est un pur hasard ?
C’est un concours de circonstances : du fait de ma compagne d’abord qui avait une proposition de travail dans le Sud de la France. J’avais quelques propositions de poste en Champagne, en Bourgogne mais ce n’était pas des régions qui m’attiraient. Une amie qui vivait à Saint-Jean de Fos m’a fait part d’une annonce pour un domaine où tout était à faire, reconstruire et se convertir en bio. De mon côté, j’étais attiré par le sud de la Vallée du Rhône, le Luberon, Le Languedoc. Ce fût la bonne occasion de se lancer…
Votre domaine aujourd’hui, qu’est-ce qu’il représente ?
En 2009 c’était à peine un hectare avec du Cinsault et du Carignan ; en 2010, 4 hectares et cette année j’ai trouvé d’autres parcelle sur Arboras, mais je suis toujours à 4 hectares car j’ai abandonné une des parcelles que je possédais. J’aimerais assez parvenir à 6/7 hectares.
Tout le domaine est en biodynamie ou va le devenir ?
Non pas encore… je n’ai pas encore le temps ni l’argent parce que tout coûte une fortune. Je pourrais faire des choses à la main, tout dynamiser, acheter les préparations sur Internet mais les vignes sont dans un tel état que je préfère d’abord tout redresser. Par exemple j’ai récupéré une parcelle de Syrah au-dessus d’Arboras, c’est une horreur : il y a du bois dans tous les sens, elle n’était pas palissée, les rameaux de l’année dernière partent sur 5/6 mètres par terre. Elle est sublime, c’est une toute petite terrasse, avec vue sur la vallée. Il y a du boulot à faire, on a passé trois jours à la tailler à deux pour 20 ares (1/5 d’hectare-2000 m2). Je vais y mettre un palissage etc… il faut que je m’occupe de les redresser, de les épamprer, tout ça c’était chimique, il faut tout changer, c’était horrible. J’y consacre beaucoup de temps, il y a la commercialisation, je suis tout seul, même avec des petites surfaces, je n’ai pas le temps de faire autre chose.
Comment travaillez-vous votre sol ?
Beaucoup de vignerons décident de tout labourer quand ils se convertissent en bio dès la première année. Toutes les racines qui sont dans les 30 premiers centimètres vont être détruites. Tous les vignerons qui sont en bio se plaignent qu’ils n’ont pas assez de rendement, que 5 ans après leur reconversion ils ont perdu plus de 50% de leur production. Le bilan est simple, ils ont acheté des outils très lourds et agressifs pour les racines. Moi ? l’inter cep, tant que l’herbe ne me gêne pas, je la laisse tranquille. Avec le climat qu’il y a ici, au mois d’août elle est cramée.
Le plus important c’est de conserver le système racinaire qui est là. Si on se met à labourer la parcelle à 100% du jour au lendemain, la vigne ne va pas comprendre : c’est assassin, ils amputent la vigne du peu qu’elle a. Je préfère que mes vignes aient un aspect moins photogénique tout en sachant que mon système racinaire sera bon.
L’année dernière, j’ai labouré un rang sur 3, cette année je vais commencer 1 rang sur 2 et puis il faut y aller hyper doucement sinon le rendement chute. Cette année je ne vais pas forcément labourer le rang que j’ai labouré l’année dernière pour que la vigne recommence à chercher l’eau d’elle-même. Pourquoi acheter un magnifique chenillard qui va moins tasser le sol si c’est pour détruire ce que l’on essaye de mettre en place par la suite avec un outil inadapté ? Il n’y a aucun intérêt !
Pendant qu’il nous raconte tous ces détails intéressants, Ivo Ferreira sort les bouteilles pour la dégustation, nous sommes tout de suite interpellés par la beauté de ses étiquettes, la discussion saute du coq à l’âne !
Vos étiquettes sont très belles et très originales, d’où est-ce qu’elles viennent ?
C’est la mère d’une amie qui me les a faites, c’est une des premières à avoir été admise dans les ateliers de calligraphie au Japon et aujourd’hui c’est un cadeau énorme qu’elle nous fait. Elle est la restauratrice attitrée du musée Picasso et elle est venue durant tout le mois d’août pour s’inspirer et faire des centaines d’essais.
Chacun interprète l’étiquette à sa manière, c’est assez abstrait mais à la base cela représente un pied de vigne.
L’imprimeur a fait un superbe boulot pour faire ressortir le coup de pinceau, les contrastes, il a fallu bosser sur le papier.
Combien de bouteilles arrivez-vous à sortir de vos 4 hectares ?
J’ai fait environ 10 000 bouteilles soit 22 hectolitres/hectares. J’ai eu peur au début pour la commercialisation mais j’ai la chance d’avoir un parcours qui fait que j’ai des relations : des copains qui bossaient dans des cuisines de restaurant et qui ouvrent leur restaurant aujourd’hui, c’est un réseau et il est très important.
Vous revendiquez des vins natures, comment vous fonctionnez au niveau du souffre ?
Je vinifie sans soufre, sans levure, sans enzyme, sans quoi que ce soit. Après la fermentation alcoolique, comme j’ai des macérations très courtes, il n’y a pas un gros risque que la fermentation malo-lactique démarre alors que les raisins sont encore dans la cuve.
Je stabilise les cuves une fois cette fermentation malo-lactique terminée, mais très peu, pas plus de 2 grammes/hectolitre. Dans l’assemblage, ça se dilue encore et il y a des cuvées sans soufre.
Les bouteilles sont prêtes et la dégustation peut commencer. le domaine produit que des vins rouges. En 2009 le domaine ne comptait que 3 vins : un Merlot, un Cinsault et un assemblage de Cinsault et de Carignan
100% Mourvèdre
J’avais une parcelle dont je ne savais pas quoi faire, j’ai fait plusieurs types de vinification, deux macérations carboniques, un liquoreux, un rosé.
On déguste une macération carbonique. Je voulais faire quelque chose de très sec en bouche, très tranchant avec le fruit, je voulais faire avec un cépage qui a une connotation assez haut de gamme dans le coin, quelque chose assez basique, avec pas mal d’acidité, très franc en bouche, ma cuvée de base.
C’est la cuvée des dernières parcelles arrivées. Il y a aussi un Carignan, le Mourvèdre est épuisé, il n’y avait que 1 200 bouteilles et en 3 semaines, il n’y avait plus rien.
Il n’y a pas de remontages, ni de pigeage.
Je l’ai récoltée très tôt comparé à ce qui se fait ici ; tout début septembre alors que c’est plutôt fin septembre en temps normal. J’avais une grosse acidité et c’est ce que je voulais. Si j’avais cherché l’extraction par des remontages ou des pigeages, j’aurais eu des tanins verts, mais si on laisse faire la chose et que l’on ne garde que la matière minérale, il n’y a pas besoin de le travailler.
Le vin présente une magnifique couleur rouge pourpre.
Le premier nez dégage une sensation de raisin frais, tout juste foulé. L’aération nous dévoile du fruit rouge, ça sent la fraise. Une pointe de lie pour finir et nous sommes déjà content d’être venu!
L’entrée en bouche est sur l’acidité, Ivo nous l’avait annoncé. C’est très atypique pour un Mourvèdre. Le milieu de bouche rejoint le nez, du fruit rouge avec de la fraise et de la groseille. L’ensemble est très minéral, c’est frais et désaltérant. Nous sommes loin d’être assommés par l’alcool qui ne ressort à aucun moment de la dégustation. La finale évolue sur des notes grillées.
Très agréablement surpris par ce 100% Mourvèdre ! Très désaltérant et gourmand!
60% Cinsault – 30% Carignan – 10% mourvèdre.
Je suis un peu obligé de faire des vins qui se boivent rapidement, j’ai peu de bouteilles, je n’ai plus de 2009, il faut que je commence à vendre des 2010 et économiquement c’est indispensable quand on commence comme moi sans un sou !
Les 2009 sont beaucoup plus denses mais ce n’était pas voulu, c’est la première fois que je vinifiais dans le Languedoc et je me suis fait avoir par le temps.
Par exemple la parcelle de Cinsault, j’avais commencé à la récolter un jeudi et le dimanche quand j’y suis retourné pour finir, les raisins avaient pris 4% Vol de potentiel, c’est énorme !
La couleur est dans le même registre que le Mourvèdre.
Le premier nez est un peu fermé, les vins sont peut-être un peu frais, nous dégustons en plein air et le soleil a du mal à percer. L’aération nous dévoile tout de même du pruneau.
L’entrée en bouche est légère, vous ne serez pas choqué par les tanins. L’équilibre est appréciable, l’acidité, marque de fabrique du 2010 est toujours présente et mieux intégrée que sur le mourvèdre. La finale manque un petit peu de longueur, nous aurions aimé déguster le vin un peu plus « chaud », car certainement la finale aurait dévoilé plus de fruit.
Toujours la sensation d’avoir croqué dans une grappe de raisin en persistance aromatique.
Un gros coup de coeur Midi-Vin pour les vins et Ivo
Première rencontre avec Ivo Ferreira et première satisfaction. Les vins sont à la hauteur de nos attentes, les recommandations étaient bonnes. Nous avons passé un très bon moment : Ivo aime l’aventure et il sait nous la conter et transmette la passion d’un vigneron qui est parti de zéro.
Midi-Vin met en vente ses cuvées pour vous faire partager les vins de ce micro domaine ancré au cœur de l’appellation Montpeyroux et qui produit des Vins de Table, en dehors de toute obligation administrative et d’assemblage. Ivo fait le vin qui lui plaît, le vin qu’il a appris et le vin qu’il ressent au fil des millésimes et de l’établissement de son vignoble. Nous ne pouvons que vous inviter à les partager.
Midi-Vin essaye d’obtenir la commercialisation des deux autres cuvées produites au domaine de l’Escarpolette : l’Enchanteur et Jeux de Mains. Pour vous tenir au courant de l’arrivée de ces deux petits bijoux dégustés par Midi-Vin lors de notre rencontre, pensez à vous abonner à la newsletter Midi-Vin.