Samedi 12 mars, la Cave des Arceaux recevait Jean-Baptiste Granier avec la cuvée Les Vignes Oubliées. Ce petit bijou languedocien, a été créé en collaboration avec Olivier Jullien du Mas Jullien. Les deux hommes travaillent ensemble sur le domaine, et ont décidé de sauver quelques vignes de l’arrachage sur la commune de Saint-Privat, dans un premier temps pour essayer puis, au vu des résultats, pour nous faire partager ce vin.
Comment sont nées les Vignes Oubliées ?
On voyait ces vignes, là, sur Saint-Privat, qui allaient peut-être disparaître, avec de beaux raisins, pendant les vendanges 2007. On a pris 4 vendangeurs et 8 comportes et on est monté.
Aujourd’hui on a 5/6 hectares, et ça va augmenter. Mais au départ c’était vraiment pour faire des essais sur ces terroirs, voir ce qui allait en sortir, juste en vendangeant, en laissant aux autres le soin de s’occuper des vignes. Quand on a vu ce que ça sortait …(sourire)
C’était une poignée de coopérateurs qui s’occupaient des parcelles ?
Oui, voilà, on y est allé, on a sélectionné ce qu’on voulait, une Syrah, un Grenache, et à partir de là, on a goûté et on a mis ça dans la cave au Mas Jullien. Puis, quand on faisait déguster aux gens de passage dans la cave et qu’on voyait leurs expressions, on s’est dit, bon il va falloir en faire un vin, on ne peut pas laisser partir ces raisins …
Ces raisins étaient destinés à l’arrachage ?
Oui, puisque les viticulteurs qui cultivaient ces vignes perdaient de l’argent. A chaque fois que t’allumes le tracteur, tu perds de l’argent. C’était donc pas possible, ils allaient arrêter. Ils étaient pourtant motivés car ils continuaient tout de même à travailler leurs vignes au lieu de les arracher. On s’est donc dit qu’il fallait se lancer, monter une petite structure, un négoce vinificateur, on peut vinifier au Mas Jullien parce qu’on a la structure, un pressoir ça peut servir plusieurs fois, surtout que le nôtre était sous exploité. On a l’équipe de vendangeurs du Mas Jullien, on peut monter là-haut.
C’est parti de là. En 2008 on a fait un petit peu plus, on a fait 2 000 bouteilles, c’était toujours intéressant, alors 2009 on a franchi le cap, on a fait 13 000 bouteilles et 2010 est en cave et il y en a 17 000. Du moment qu’on trouve les bons raisins et les gars avec qui on peut bosser, on y va, on a la liberté, on n’est pas un domaine là. Mais attention on sélectionne.
Avez-vous un cahier des charges pour la vigne ?
Comme ça, disons que leur vigne, elles étaient bien déjà, sauf qu’ils n’étaient pas en bio. Donc aujourd’hui on dit, on passe en bio, ce qui permet en plus, d’avoir un contrôle externe, qui ne vient pas de nous. C’est plutôt intéressant. Ils n’y étaient pas, mais presque, ils ont toujours labouré leurs vignes, le seul souci c’était de désherber sous le rang, on est en train d’acheter un inter cep pour le faire.
Comment ça se passe au niveau des vinifications ?
Le raisin est éraflé et foulé, parfois trié à la vigne, avec nos vendangeurs qui sont rodés sur cette étape. En suite le but c’est de le faire fermenter même si c’est une chose qui n’a pas été évidente ces deux dernières années, 2009 et 2010. Les fins de fermentations ont été un peu plus difficiles. Une flore levurienne et bactérienne perturbée par des étés sans pluie. C’était un travail d’accompagnement, de surveillance : les fermentations sont faites avec des levures naturelles.
Mon temps, je le passe dans les vignes, ça représente 90% de mon travail, et si tu as de beaux raisins, tu sors quelque chose de bien, même quand il faut être un peu plus attentif au déroulement des fermentations.
Si la structure des Vignes Oubliées fonctionne bien, est-ce qu’il y aura un vin blanc à l’avenir ?
Peut-être un jour… on fait des essais, mais il n’y a pas trop de vignes de blanc plantées là-haut. On a essayé quelques souches de Roussanne, de Clairette, je les aie vinifiés, c’est plutôt intéressant. On n’a pas encore exactement les équilibres comme on veut. On est en train de travailler sur ça, mais avant que ça accouche de quelque chose que l’on aime bien, il faudra 5 à 6 années. Mais on le fera le travail, parce que j’en ai envie, mais je me précipite pas, je veux que ça sorte bien. C’est ça la ligne de conduite des vignes oubliées, si c’est bon, on le fait. Si ce n’est pas bon, on ne fait pas.
D’autant plus qu’il y a l’image du Mas Jullien derrière …
Oui, il faut faire attention, même si on a tout fait pour que ce soit dissocié. Le but était de vraiment de les séparer. Le seul lien, c’est Oliver (Jullien). Certes on est lié, mais pour autant, on voulait que ce soit vraiment indépendant ; pas que ce soit un vin du Mas Jullien. C’est une nouvelle aventure, un partage avec d’autres producteurs. C’est complémentaire du domaine, pas une petite chose.
Au niveau élevage, qu’est-ce qui est pratiqué ?
Sur le 2009 il y a une grosse partie de cuve béton avec 20 % de fût. Cette année en 2010, je fais des essais, un peu en Demi-Muid, des 600 litres de 8 ans, j’essaye des 350 litres et j’ai des fûts d’un vin aussi. Mais les Grenaches en cuve toujours.
Après toutes ces explications enrichissantes sur la naissance d’une cuvée et les motivations qui font qu’aujourd’hui ce vin existe, Jean-Baptiste Granier s’est prêté au jeu de l’interview de Midi-Vin.
Comment avez-vous appris à faire du vin ?
J’ai appris avec mon père et mon grand-père. Quand à 3 ans, mon père m’a mis sur une barrique, mon réflexe a été de tremper le doigt et de goûter : l’histoire a commencé.
Quel est votre viticulteur préféré ?
C’est compliqué, parce que la rencontre avec Olivier Jullien, je ne peux pas l’occulter. Tout s’est fait par cette rencontre, c’était pour moi un des plus grands et je crois que c’est lui.
Quel est votre plus grand défi en tant que viticulteur ?
C’est de faire une viticulture propre toute ma vie pour faire des vins propres.
Quel est le meilleur vin que vous ayez goûté ? Le plus intéressant ?
Dans la région, ce n’est pas un vin d’appellation malgré que je sois un défenseur des cépages et des vins d’appellation : un Mas Daumas Gassac 1985. Sinon un Peyre Rose 1992 et un Mas Jullien 1996 et 1994. Hors région, parce que j’étais jeune et que j’ai eu cette chance là et que je trouve ça remarquable, c’est la Romanée-Conti.
Quel est la plus veille bouteille dans votre cave ?
Des Mas Jullien 1988 et de Peyre-Rose 1992
Si vous deviez choisir un vin et un vin blanc pour le mois prochain, à tous les diners, lesquels choisiriez-vous ?
Les Carlines de Mas Haut-Buis pour le rouge, les vins de Paul Reder en Blanc du Domaine Haute Terre de Comberousse
Combien coûte un très grand vin ?
Une grande émotion, c’est ça qui en fera le prix. Sinon, au-delà de 50€ je trouve ça toujours difficile …
Quelle est votre région viticole préférée dans le monde autre que la vôtre ?
La Bourgogne, c’est l’exemple, le modèle dans ce qu’ils ont fait avec leur terroir, montrer ces différences. Il y a les meilleures émotions mais aussi les pires choses. Je retiens la précision de leur diversité, ce n’est pas du marketing, c’est le terroir.
Si vous ne faisiez pas de vin pour vivre, qu’est-ce que vous feriez ?
Je serais dans l’agriculture, j’aime bien créer, le goût, manger, je dois être lié à ça. Mon action est là, ma passion aussi. Je ne peux pas m’éloigner de la terre.
Qu’est-ce que vous faites pendant vos jours de repos ?
La découverte à travers les paysages, le cinéma, sortir du quotidien mais garder l’échange comme dans le vin.
Quel(s) vins sont ouverts dans votre cuisine en ce moment ?
Un Muntada 2001 du Domaine Gauby en Côtes Du Roussillon Villages.
Pour clore cet article, voici nos notes de dégustation des Vignes Oubliées sur le millésime 2009.
Les Vignes Oubliées 2009
AOC Coteaux du Languedoc – Terrasses du Larzac
60% Grenache – 18% Carignan – 18% Syrah – 4% Cinsault
Robe rouge foncée, brillante.
Le premier nez est empreint d’une grande finesse révélant de légères notes poivrées et d’herbes aromatiques. L’aération ne fait qu’amplifier ce côté épicé, très délicat.
En bouche, l’attaque est sur le fruit, la cerise en particulier, les tanins sont très bien intégrés et l’acidité participe à la belle longueur que nous offre cette cuvée. La finale est sur le côté épicé que l’on avait au nez, particulièrement poivrée. Un beau vin très délicat aux accents languedociens.
A marier sur une entrecôte, un filet de chevreuil ou du fromage.
Si vous voulez mettre des images sur ces mots, sur ces vignes, sur cette cuvée, je vous invite à aller voir La Clef des Terroirs, un film documentaire réalisé par Guillaume Bodin sur les vins biodynamie. Olivier Jullien et Jean-Baptiste Granier y font une apparition. Midi-Vin réalisera un article prochainement avec une interview du réalisateur avant la diffusion du film à Montpellier.
Suivez le lien pour retrouver les projections à venir du documentaire « La Clef des Terroirs »