Aux confins de l’Hérault et du Gard se trouve le Domaine de Sigalière. Une exploitation viticole d’un peu plus de 15 hectares dont André Moulière est le fier gardien.
Au cours d’une entrevue, par un après-midi de printemps, j’ai eu la chance de découvrir son univers et sa philosophie. C’est cette rencontre et sa passion que je vais tenter de vous transmettre.
Ce fils de berger cévenol était en effet « venu à la ville » pour exercer son métier d’électricien mais après peu de temps il a effectué son « retour à la terre ». En travaillant ça et là il a peu à peu appris le métier de viticulteur, « au contact des gens ». Puis dans les années 70 il passe le cap, prend des vignes en fermage et plus tard achète le Domaine de Sigalière. Les raisins sont amenés à la cave coopérative jusqu’en 2002 où, fort de plusieurs années d’expérience, il vinifie et élève lui-même ses vins au domaine.
Ses vins ce sont un peu ses enfants. D’ailleurs ses vignes il les conduit en bon père de famille : en les accompagnant suffisamment mais surtout en souhaitant leur indépendance.
Quand on lui demande ce que veut dire « bien travailler sa vigne ? » il répond que c’est d’intervenir le moins possible. Et c’est ce qu’André tâche d’appliquer, à la vigne comme en cave, afin de « laisser s’exprimer le terroir ». La technique, la mécanisation ou les traitements contre les maladies c’est le minimum et surtout ce n’est pas systématique : « j’observe, je préviens et parfois il faut agir… » Assez nature en somme : « pas d’engrais chimique, pas d’herbicide, pas d’insecticide ».
Mais si on lui parle de bio, de production intégrée ou raisonnée il répond que c’est du marketing. « Je fais ce que je dis et je dis ce que je fais, c’est tout » dit-il pour reprendre le célèbre adage. « Si une année la pression des maladies est plus forte, je n’hésiterait pas à faire un traitement de plus ». Mais parfois, lorsque les conditions le permettent, il traite au minimum. Comme lors du millésime 2007 où seuls trois passages ont été effectués alors que la moyenne en viticulture se situe plutôt au-delà de six traitements.
Le terroir et la typicité il les obtient grâce à la recherche d’un équilibre et au respect de l’intégrité de ses sols, des raisins et du vin. Pour lui il y a de bons terroirs partout, mais pas toujours de bons vignerons. « Il faut savoir les exploiter, en évitant la productivité et l’abus de technique. Le plus dur c’est de se retenir d’intervenir. Parfois on est tenté de s’interposer avec ce qui se fait naturellement. C’est ce que j’essaie d’éviter. »
Le but est de favoriser le développement d’une vie microbienne dans le sol : « comment peut-on parler de terroir et de typicité si le sol est mort ? C’est un ensemble : les vignes sont intégrées dans le paysage et l’environnement. Les haies, les arbres et les taillis abritent des insectes et leurs prédateurs, ils se nourrissent ici. C’est un cycle dans lequel la vigne s’alimente de l’humus…».
Le domaine est divisé en deux parties : 6 hectares en AOC Pic Saint-Loup dans les alentours du village de Corconne et environ 10 hectares sur la commune de Carnas en AOC Languedoc, au lieu dit de la Sigalière. Là où se trouve la cave de vinification.
Notons au passage cette anecdote : « Sigalière ce n’est pas une faute d’orthographe comme on pourrait le croire. En réalité segal en occitan signifie le seigle. La sigaliera serait donc l’endroit où on fait pousser le seigle. » Ce nom laisse présager d’une riche histoire. Ce que confirme la présence d’anciennes ruines sur le site de la cave. D’ailleurs l’appartenance à une ancienne abbaye, la Métairie de la Sigalière, vient confirmer cette activité ancienne.
Le sol, pour les vignes de la Sigalière, est composé de marnes calcaires pour les blancs et l’AOC Languedoc rouge (respectivement les cuvées L’hélianthème et Cœur d’Adonis). Ce type de sol permet un apport en eau faible mais régulier pendant la maturation et donc de modérer le stress hydrique : la vigne ne souffre pas trop de la sécheresse et mûrit bien ses raisins. Cependant il faut que les vignes soient bien enracinées pour profiter de cet apport. C’est là que l’entretien du sol a son importance : les vignes sont enherbées naturellement et tondues régulièrement. Cette technique va aérer et drainer le sol mais aussi faire plonger les racines de la vigne en profondeur. Pourtant dès lors qu’il fait trop chaud la concurrence vis-à-vis de l’eau sera trop importante. Il faudra alors labourer le sol. Ce qui aura comme effet de détruire les herbes et ainsi réserver l’eau disponible pour les ceps de vigne.
Pour le cru Pic Saint-Loup (cuvée Les Ammonites) le sol est composé de gravettes argilo-calcaires d’origine jurassique. Ce type de sol, beaucoup plus sec, va nécessiter l’enracinement des vignes en profondeur et conférer beaucoup de minéralité aux vins
Les cépages ce sont ceux traditionnellement implantés dans le midi: la Syrah, le Grenache, le Carignan, le Mourvèdre et le Cinsault pour les rouges. « Ils sont bien adaptés aux conditions climatiques et aux sols ». Pour les blanc une originalité : les raisins de Sauvignon (un cépage bordelais) seront assemblées avec la Roussanne, plus traditionnelle de la région.
Les rendements sont « bon an, mal an de 20 hectolitres par hectare » ce qui est vraiment très faible mais permettra une belle concentration dans les vins.
En cave c’est toujours le même leitmotiv : intervenir le moins possible, laisser la nature travailler. Mais aucune concession n’est faite sur la qualité de la matière première : les raisins sont vendangés à la main, triés une première fois à la vigne puis une seconde fois à l’arrivée en cave. Ils sont acheminés aux cuves par gravité après un éraflage et un foulage léger. Autant dire que ces raisins sont choyés. « Le plus critique dans la vie du vigneron c’est de décider quand vendanger. Le mieux est d’allier l’analyse en laboratoire à la dégustation des grains. Quand les pépins sont mûrs et que les raisins ont ce goût confituré si particulier, c’est le bon moment. Mais certaines années comme en 2002, mieux ne valait pas attendre ! »
En allant toujours vers moins d’interventions, le domaine en vient, peu à peu, à ne pas levurer les cuves. « Je me suis rendu compte que les levures indigènes travaillaient mieux que les levains du commerce ». Mais encore ici, pas d’intégrisme : « si on a un arrêt de fermentation je n’hésiterais pas à ensemencer ma cuve ». D’ailleurs les conseils de l’œnologue sont toujours les bienvenus : « il est comme un médecin de famille, on lui fait confiance parce qu’il a un savoir »
Pour les rouges de longues macérations, qui peuvent durer jusqu’à cinq semaines, sont effectuées. Mais avant tout les raisins sont épépinés ce qui permet de ne pas gagner en dureté, car les pépins sont très riches en tanins. Un élevage en barriques d’occasions sur les vins de Syrah permettra d’arrondir un peu la structure et gagner en souplesse sans trop boiser le vin. Après un élevage pouvant aller jusqu’à deux ans, les vins sont assemblés et mis en bouteilles sans collage ni filtration, pour avoir le plus de richesse possible à la dégustation.
Les blancs sont vinifiés en cuve et mis en barrique un peu avant la fin de la fermentation alcoolique. Ils finissent leurs fermentations sur les lies et sont régulièrement bâtonnés jusqu’à ce que l’hiver soit bien avancé. Ils seront soutirés un an plus tard et mis en bouteilles après environ un an et demi d’élevage. La proportion de bois neuf des barriques est autour de 10% pour les blancs et permet de ne pas conférer un boisé trop prononcé.
Au vue du temps passé les vins sont d’un excellent rapport qualité prix. On peut vraiment dire qu’André Moulière est un de ces rares vignerons qui ne font pas de concession. Il a refusé de rentrer dans « la logique productiviste préconisée par certains ».
Il est exigeant, c’est un artisan, un poète aussi.
Car quand on lui demande quels sont les aspects de sa vie de vigneron qu’il préfère il répond simplement par ces quelques vers :
« Aujourd’hui, presque vieux
Immergé dans mes vignes
Seul comme un berger
Je pense à l’avenir »
A la dégustation, L’Hélianthème 2004 (Vin de Pays d’Oc) présente une belle robe d’un jaune doré soutenu aux reflets argentés. Le nez est parfumé et complexe avec des notes de raisins secs, d’abricots et d’écorces d’orange, le tout soutenu par un boisé fin et fondu rappelant le tabac frais. En bouche l’attaque est charnue, grasse avec une bonne vivacité en finale et des arômes de fruits secs et confiturés. On notera une très belle persistance aromatique. Ce vin, qui se boira dès maintenant, saura aussi vieillir encore un peu. Il se suffit à lui même mais se mariera très bien avec les poissons de rivière ou encore des fromages à pâtes pressées.
La cuvée Cœur d’Adonis 2003 (AOC Coteaux du Languedoc) a une couleur rouge grenat avec de beaux reflets tuilés. Le nez est fin. On y trouvera des arômes épicés, mais aussi de réglisse, de garrigue et de cuir ainsi que des notes de cerise au kirsch et de pruneau. L’attaque en bouche est ronde avec une jolie structure. Le tout est très minéral avec des arômes de fruits à noyaux. Ce vin accompagnera agréablement tout un repas avec une préférence pour la cuisine du terroir et les viandes.
La cuvée les Ammonites 2004 (AOC Pic Saint-Loup) a une couleur rouge rubis avec des reflets pourpres dénotant un potentiel de garde encore important. Le nez est très légèrement fumé et boisé avec des arômes d’épices, de poivre mais aussi de thym. L’attaque en bouche est dominée par une belle matière faite de tanins fins d’une belle puissance. Le tout est bien équilibré, intensément minéral et fin. Ce vin a encore de belles années de garde devant lui mais se boira également très bien dès maintenant s’il est carafé un peu avant dégustation. Il s’accordera aussi bien avec les viandes rouges grillées qu’avec les plats en sauce type Bourguignon ou les gibiers mais essayez le avec un carré de chocolat noir et il vous surprendra.
Allez visiter le blog d’André Moulière
Quelle bonne idée de brosser le portrait d’André Moulière qui se fait trop rare sur son propre blog.
Dommage, qu’il n’y a pas un peu plus de photos, pour illustrer ce long article:-)
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