Bienvenue dans le monde de la spéculation où vin rime avec rien, où vigneron rime avec pognon. Cette entrée en matière un peu provocatrice est réellement dans l’esprit actuel de la folie qui s’est emparée des marchés du négoce des grands crus.
Nous sommes en 2011 et à l’heure où les banques et les marchés boursiers (et même certains états) n’en finissent plus de spéculer (ou de s’écrouler), on assiste depuis une bonne dizaine d’années à des envolées spectaculaires du prix de nos chères et belles bouteilles.
Certains pensent qu’il est normal et voire indispensable pour l’image du vin français à l’international, que le vin soit devenu un produit de luxe et qu’il faut s’en réjouir à l’heure où seules les marques de ce secteur (cosmétiques, parfums et haute couture) augmentent leurs marges et trouvent de nouveaux débouchés (chinois, indiens ou brésiliens notamment).
D’autres diront que l’on marche sur la tête, que le vin est synonyme de partage et que bon nombre de ces bouteilles ne seront jamais bues, voyageront à travers le monde, parcourront 2 voire 3 fois le tour du monde avant d’être entreposées voire exposées dans une vitrine. Après d’obscures transactions, des voyages périlleux dans un container surchauffé capable de vous transformer un grand vin en une piquette à prix d’or à l’arrivée, qui profitera de ces flacons ? Comment seront-ils bus ? Entre deux verres de bières ou avec de la junk-food ?
Il est devenu courant d’entendre des amateurs de bonnes bouteilles se plaindre qu’il est dorénavant devenu impossible pour eux de se payer un grand cru de Bordeaux ou de Bourgogne, pour une occasion exceptionnelle (qui n’a pas rêvé de laisser à ses enfants une Romanée-Conti de son année de naissance ?) comme c’était le cas auparavant. Les prix seraient devenus fous notamment à cause des acheteurs étrangers.
En regardant de plus près, ce n’est qu’une infime petite partie de la production française qui jongle avec les chiffres astronomiques.
Comment en est-on arrivé là ? Chacun a ses idées, mais il est clair que l’histoire a fait et continue de faire que certains sont plus avantagés que d’autres. Il n’y a pas de place pour tout le monde et il n’y a pas que dans le vin que l’on rencontre ce problème.
La région de production
Elle est à la base de la cotation des vins. Deux grandes appellations françaises trustent les premières places : Bordeaux et Bourgogne, les Bordelais étant de loin en tête.
Il y a une dimension historique à prendre en compte. Les grands domaines existent depuis plus d’un siècle : Lafitte, Margaux, Mouton, Latour, Haut-Brion, Pétrus, Yquem, Cheval-Blanc, Ausone, Romanée-Conti, etc…
Un schéma qui en dit long sur la lente mais sure montée des prix dans le Bordelais :
Quelques exemples de prix :
- En 2009, une caisse de 12 bouteilles de Château Lafite Rothschild valait 16 550 euros en primeur soit 1379.4 euros la bouteille. 2010 a vu juste descendre un peu le prix. Mais celà représente une hausse de presque 163% par rapport au millésime 2005 qui avait déjà été célébré comme le millésime du siècle : à ce rythme, cette expression ne veut plus dire grand chose.
- Ausone : +51,8% entre 2005 et 2009 – 2010 restant dans la même gamme de prix
- Pontet-Canet : +154% entre 2005 et 2010 mais avec un passage au bio et au manuel (labour au cheval notamment). De mémoire, c’est le 1er grand cru à le faire. Les quantités ont dû réduire ce qui peut expliquer la montée du prix.
- Latour : +83% entre 2005 et 2009 – 2010 restant dans la même gamme de prix (flirtant avec 1200 euros la bouteille)
Le système de cotation des prix des primeurs de Bordeaux fera l’objet d’un article car il y a matière à dire. Mais je m’égare …
On ne peut pas demander à un nouveau domaine, quelle que soit la région de production, de se hisser à la hauteur de ces grands noms. Bien entendu chaque région de production tient ses grands vins, ses grands vignerons et là aussi la spéculation existe mais elle est bien plus raisonnable, contrôlée et permet encore aux passionnés de s’offrir quelques bons flacons.
L’offre et la demande : un principe vieux comme le monde
La première élément comme dans tout marché, c’est l’offre et la demande. Est-ce un grand vin connu et reconnu ? Ensuite le millésime est très important, capable à lui seul de faire doubler ou quintupler le prix de la même bouteille d’un millésime à l’autre. Enfin l’état général de la bouteille c’est-à-dire le niveau du vin dans la bouteille, l’état de la capsule et donc du bouchon, et l’état de l’étiquette (millésime lisible ou non est le plus important).
L’image ci-dessous montre l’incidence du niveau du vin dans la bouteille dans le prix final et la décôte qui peut y être appliquée.
Même en produisant dans une appellation très connue par exemple à Saint-Emilion dans le Bordelais, tous les Saint-Emilion ne vont pas se vendre au prix d’un château Ausone, même certains proches voisins. Rageant quand on sait que nos vignes sont à quelques mètres, et pourtant réel !
Alors qu’est-il en train de se passer dans ces grandes appellations ? La crise viticole comme pour les autres. La pression des grands châteaux est trop forte, on ne parle que d’eux, on ne voit qu’eux, les importateurs ne vivent que pour eux et la forêt s’appauvrit au point, un jour, de céder et de vendre. A qui ? Et bien au voisin qui, lui, va augmenter sa production et vendre encore plus de bouteilles à des prix à la limite du raisonnable quand on sait que le prix moyen de revient de ces grands crus oscille entre 15 et 25 euros la bouteille.
Qui décide des prix ?
Une fois la bouteille sortie du domaine à un prix déjà élevé (1 000 euros pour certains grands crus classés à Bordeaux pour le millésime 2009), la spéculation peut se mettre en place.
Tout le monde n’a pas pu être servi, la demande se fait sentir. Un acheteur décide alors de céder quelques bouteilles dans une vente aux enchères, spécialiste des grands crus. Le résultat de la vente est publié sur divers magazines ou sites internet spécialisés ; on établit un prix de référence, une cotation.
Un critique influent goûte encore une fois ce millésime et l’encense de plus belle : le lendemain la côte fait un bon, la semaine suivante des bouteilles sont à vendre aux enchères, la semaine d’après la côte est encore plus élevée. C’est un cercle vicieux, surtout régi par la demande extérieure (chinoise en majorité, américaine, russe…) prête à tout pour acquérir ces nectars, signe de raffinement et de richesse dans leur pays. Après avoir observé plusieurs ventes aux enchères, le prix de grands cavistes, des boutiques et magasins divers, un prix moyen s’établit, le vin est parti pour un long périple à travers le monde.
En général, les prix payés en ventes aux enchères, notamment pour des seconds vins ou des vins moins connus localement, sont inférieurs aux prix pratiqués dans le commerce. Mais attention à en connaître la provenance, l’état de conservation et à ne pas s’emballer pour finir par payer plus cher qu’en boutique.
Qu’avez-vous dans votre cave ?
Tous les domaines et toutes les bouteilles ne se revendent pas à prix d’or. Bon nombre de mes amis me montrent de vieilles bouteilles oubliées chez leurs grands-parents en pensant qu’ils tiennent une petite fortune. Après avoir pris le temps d’expliquer certaines choses, je prends des pincettes et leur annonce que leur bouteille servira tout au plus au bœuf bourguignon de ce soir. Étonnement, déception puis résignation sont les trois étapes successives auxquelles ils font face. Vient la question du pourquoi ? Et bien simplement que cette bouteille n’est pas rare ou recherchée, que son producteur n’est pas reconnu, que l’étiquette est illisible et/ou la capsule détruite…
Ne vous fier pas au millésime, ce n’est pas parce que votre bouteille est vieille que le vin sera meilleure et/ou se revendra plus chère. Bon nombre de vin ne se conserve pas 10 ans, les acheteurs avertis le savent et ne payent pas une bouteille à prix d’or si elle est imbuvable. Certains vins vieillissent bien mieux que d’autre. Certains domaines sont réputés pour l’éternel jeunesse de leurs vins, d’autres moins.
Contactez un ami qui connait le vin mais pas seulement : le marché du vin, les côtes. Montrez-lui vos bouteilles et en fonction de ses conseils aviser. Ne soyez pas déçus de ne pas posséder un trésor, perdez pas de vue que ce n’est que du raisin finalement. Ouvrir la ou les bouteilles autour d’un repas et partager son trésor perdu avec ses amis procure bien plus de plaisir, un plaisir simple qui nous ramène au commencement du vin : le partage.
Pour aller plus loin
Si vous avez de belles bouteilles mais aucune idée de leur valeur actuelle, rendez-vous sur le site IdealWine. Après une rapide inscription, vous aurez accès à une multitude de cotations pour des vins du monde entier. Si votre bouteille apparaît dans leurs registres, c’est plutôt un bon signe. En revanche si vous ne trouvez rien, et bien ouvrez votre flacon et savourez-le.
Ce site est devenu une référence pour les acheteurs et les vendeurs. En plus des cotations actuelles, constamment remises à jour, vous trouverez de multiples informations et des ventes en ligne de grandes bouteilles tout au long de l’année : des ventes à prix fixes ou bien des ventes aux enchères.